Bernadette
C’était une femme, très loin d’ici, dans un autre pays, sous d’autres cieux, une femme noire au sourire éclatant, douce, dévouée, aimante, une autre mère pour nous. Ces années là nous avons grandi avec deux mamans, la nôtre et Elle.
Le temps des colonies, on en dira ce qu’on voudra bien en dire. Mais à cette époque, à l’Ile Rouge, il y avait cette femme si proche de nous, si tendre. Elle s’appelait Bernadette, je m’en souviens encore. L’âme de la maison c’était elle. Toujours là pour tout le monde ! C’est vrai qu’à cette époque, il y avait des gens comme elle qui servaient les colons. Je n’aime pas ce terme de servir, parce qu’en lui ajoutant des lettres, ça fait asservir. Hors elle était tout sauf une servante. Ma mère quand elle parlait d’elle disait toujours « mon amie » et elle nous a inculqué le respect.
Nous lui faisions des farces terribles. Elle soignait nos petits bobos, elle nous apprenait à chanter les chansons de son pays. Comme elle, nous marchions pieds nus. Elle chantait partout, au jardin, au lavoir. Le dimanche à l’église, il y avait des gens qui se mettaient sur un banc et « leurs domestiques » loin derrière eux. Chez nous, Bernadette était assise au milieu de nous. Elle nous tenait par la main.
Lorsqu’il a fallu partir, ce fut un déchirement pour nous tous. Le jour où nous avons quitté l’île, elle m’a offert une petite broche, une cigale en verre bleu que j’avais vue sur le zoma (marché malgache). Je l’ai gardée longtemps comme un talisman, dans une boite à bijoux, jusqu’au moment où il y a quelques vingt ans, des cambrioleurs sont entrés chez moi et ont volé la boîte.
La cigale a disparu mais Bernadette est toujours là. Son chant me colle à la peau. Cette femme était une vraie « Dame » de celles que l’on n’oublie jamais.
Annie K. Barbier
La voyageuse sur le banc
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